Categories

Accueil > Le P.A.C. > International > Une semaine d’Aïkido Tomiki Ryu

20 mars 2005
Mathieu Perona

Une semaine d’Aïkido Tomiki Ryu

À la découverte de l’Aïkido de compétition

Après un mois passé à l’Aikikai (que je raconte dans Un Membre du PAC au Hombu Dojo), j’ai décidé d’aller voir un de ces club d’Aïkido de l’école Tomiki pour laquelle mon université d’accueil (Waseda) est si réputée. Je tombe ainsi au début d’une semaine d’entraînement intensif.

L’Aïkido Tomiki Ryu

Mais qu’est-ce donc que cet Aïkido Tomiki Ryu, (ryu signifie « école » au sens traditionnel du terme en arts martiaux), qu’on désigne aussi comme « Aïkido compétitif » ou « Aïkido Shodokan » (littéralement : école de la voie de l’ouverture) ?

Commençons donc par une petite présentation historique.

Tomiki Kenji, 1900 - 1979

L’Aïkido Shodokan est l’œuvre de Kenji Tomiki, figure importante des premiers temps de l’Aïkido. Il aborde les arts martiaux par le biais du Judo, et participe dans les années 1920 à la gloire du club de Judo de l’université de Waseda. À ce titre sa réflexion sur le budo fut très influencée par le travail de Jigoro Kano, le fondateur du Judo, en particulier sa volonté de préserver par la compétition l’aspect de confrontation des arts martiaux traditionnels (Ju-jitsu essentiellement).

C’est en 1924 que Kenji Tomiki rencontre Morihei Ueshiba, qui pratique alors le Daïto-ryu. Il est très intéressé par le travail du Ueshiba, et le suit dans les évolutions de son art, qui devient l’Aïki-budo pouis l’Aïkido. En particulier, il l’accompagne dans le cadre de l’aventure mandchoue des années 1930 (voir Les arts martiaux à l’ère industrielle ), enseignant l’aïki-budo aux troupes japonaises puis à l’université, où il donne des conférences sur la culture des arts martiaux. Il rencontre un autre élève d’Ueshiba, Hideo Ohba, judoka de haut niveau, qui sera son partenaire dans la fondation de l’Aïkido Shodokan.

En 1940, il est l’un des premiers élèves d’Ueshiba à recevoir un 8e dan d’Aïkido. C’est également à cette date que les circonstances séparent les deux hommes : Ueshiba rentre au Japon, s’isolant à Iwama pendant la guerre, alors que Tomiki est mobilisé sur le front sibérien. Dès cette époque, il met en forme ses propres idées sur le devenir de la pratique du budo.

À son retour au Japon en 1945, Tomiki devient professeur d’éducation physique à l’université de Waseda. Poursuivant la pratique du Judo, il se pose de manière de plus en plus insistante la question suivante : comment concilier la richesse technique de l’Aïkido et les qualités éducatives du Judo ? Le problème n’est pas mince. À cette époque, la codification des techniques d’Aïkido n’existait pas (elle est l’œuvre des Doshus) et l’Aïkido s’adressait à des pratiquants d’art martiaux chevronnés, et donc peu adapté à une pratique universitaire. Le Judo en revanche avait été conçu dès le départ comme un outil de formation physique et morale des jeunes Japonais.

Cette problématique est au cœur du travail de Kenji Tomiki à partir de cette époque. Le premier aspect de ce travail est la publication de plusieurs ouvrages, rapidement traduits en anglais, sur les relations entre le Judo et l’Aïkido (Judo and Aïkido, 1960 par exemple). Ces ouvrages ont joué un rôle important dans la diffusion internationale de l’Aïkido sensibilisant les pratiquants du Judo à l’existence de l’Aïkido et aux possibilité de complémentarité entre les deux pratiques. L’autre aspect de ce travail, réalisé au sein du dojo d’Aïkido de l’université de Waseda, est la mise au point pratique d’une telle synthèse. C’est ainsi qu’il codifie les techniques qu’il a apprises d’Ueshiba, les regroupe en katas, et établit les règles d’une forme de compétition compatible avec l’Aïkido.

Au cours des années 1950 et 1960, les préoccupations de Kenji Tomiki et de Morihei Ueshiba suivent ainsi des chemins de plus en plus divergents. C’est ainsi que Ueshiba adresse à Tomiki un message en demi-teinte : il l’autorise à fonder sa propre école, mais lui demande de bien la distinguer de l’Aïkido d’Ueshiba. Dont acte, et c’est ainsi que naît l’Aïkido Shodokan et qu’ont lieu les premières compétitions nationales.

Pratique de l’Aïkido Shodokan

En contraste avec l’ensemble toujours mouvant des techniques d’Aïkido avant la codification pas des Doshus, Kenji Tomiki met en place une pratique sévèrement codifiée, sur le modèle du Judo, facile à enseigner à des étudiants.

Le premier volet de cet enseignement est formé de kata. Le kata est une technique ou, le plus souvent, une suite de techniques à effectuer dans un ordre pré-établi. Tomiki propose ainsi cinq kata permettant de faire progresser les élèves dans les grades kuy. Ces cinq kata sont :
- Un kata de techniques à genoux et en hami-handachi ;
- Un kata de 17 techniques de bases debout, toutes réalisées à partir d’une même position ;
- Un kata de huit techniques debout en faisant varier le type d’attaque ;
- Un kata sur attaque au tanto
- Un kata regroupant les attaques au bokken et le travail au bâton.
Pour les deux premiers, on peut consulter cette référence technique, avec des petits films, qui permet également de voir la défférence entre les nomenclatures.

Le but de ces kata, répétés pratiquement chaque cours, et de permettre la mémorisation rapide d’un vaste répertoire de techniques.

L’autre volet de la pratique est le randoori. Contrairement à celui que nous connaissons à l’Aïkikaï, il se pratique à deux, à mains nues ou au tanto.

À mains nues, les deux partenaires partent d’une position similaire à celle du Judo, et doivent tâcher d’appliquer des techniques à l’autre. Le vainqurur est déterminé à l’aide d’un système de points, dont le critère essentiel est de rompre l’équilibre du partenaire. Cela passe par un jeu initial d’ouverture et de feintes, les mains de chaque partenaire se déplaçant le long des bras de l’autre à la recherche d’une ouverture.

Au tanto, la pratique est asymétrique. Le tanto utilisé est un long tube de mousse très souple. Pour celui qui le tient, il s’agit de faire une touche d’estoc nette au torse de l’adversaire. Plusieurs règles déterminent ce qu’est une touche nette, en particulier le fait de ne pas être tenu par le partenaire. Ce dernier doit éviter la touche et tâcher d’applique une technique. Pour des raisons de sécurité, le répertoire de techniques applicables est limité, en particulier en ce qui concerne le cou (interdiction de saisir le cou) et le coude. À l’issue de la première manche, les partenaires changent de rôle, et le vainqueur est déterminé par un système de points.

Shodokan et Aïkikaï

Ce qui précède se veut une description assez factuelle de l’Aïkido Shodokan. À partir d’ici, il s’agit de commentaires personnels, limités par ma (faible) compétence en ce domaine.

L’influence des règles du randoori sur la pratique de l’Aïkido Shodokan s’observe asser facilement.

- Certaines techniques sont peu pratiquées car prohibées dans ce cadre, comme la forme ura d’irimi nage ou iji kimi osae.

- La distance de base dans la pratique est très différente, proche de celle du Judo. En effet, au tanto, le partenaire ne peut pas faire de touche s’il est lui-même saisi, ce qui incite à se rappocher de lui le plus vite possible. Cette distance favorise la pratique des techniques agissant directement sur le corps de partenaire (irimi nage omote, sumi otoshi, naname kokyuho nage) au détriment de celles agissant plus sur les extrémités (ikkyo, nikkyo,...).

- De même, les règles encadrant la touche permettent de réaliser des techniques comme kote gaeshi ou shiho nage dans des conditions qui ne seraient pas acceptées dans une pratique Aïkikaï, en particulier en passant à portée d’un coup de poing (par la main ne tenant pas le tanto) ou de genoux.

- La garde de base est beaucoup plus dynamique, maisn hautes et une souplesse sur les jambes rappelant celle des escrimeurs. Cela s’explique par la similitude de contraintes pour celui qui a le tanto (pouvoir se fendre loin et vite), et pour son partenaire la necessité de réagit très vite à une attaque qui se retire immédiatement (contrairement à notre habitude de prolonger très loin les attaques dans l’idée de transpercer tori).

Ces différences se traduisent par des différences significatives dans la pratique. Les techniques de bases consistant en des entrées directes sur l’autre (voir Shomen ate), les pratiquants que j’ai pu voir sont, à niveau équivalent, plus attentifs au déséquilibre du partenaire que leurs homologues Aïkikaï, souvent préoccupé par le contrôle des extrémités (c’est particulièrement vrai chez les débutants). En outre, la pratique du randoori favorise une plus grande réactivité face à des attaques imprévues, et ainsi une plus grande disponibilté pour saisir les opportunités de technique. Pour les mêmes raisons, les notions de te-katana (garder le bras en extension sans raideur) et de centrage sont constamment soulignées, et j’ai été très impressionné par la maîtrise de l’équlibre et de la poussée avec l’ensemble du corps des pratiquants avancés.

En revanche, j’ai eu l’impression d’un répertoire technique plus limité. Ainsi, des techniques comme irimi nage ura, juji garami ou l’entrée soto kaiten, absentes des kata, ne me semblent pas pratiquées. De même, des attaques abentes des kata comme morote dori (saisie à deux mains d’un poignet) ou les atemis (frappes) sont peu pratiquées.

Une semaine d’entraînement

Après un mois au Hombu Dojo, j’ai enfin décidé d’aller voir à quoi ressemblait le club d’Aïkido Shodokan de Waseda, dont j’avais entendu parler sur Internet. Faute de pouvoir avoir un contact, je me pointe tout simplement au dojo à l’heure de leur entraînement. Là, seulement deux personnes, qui m’expliquent qu’il n’y a pas cours ce jour-là, car le lendemain commence une semaine d’entraînement intensif : 10h00 - 12h00 et 15h00 - 18h00.

Le lendemain, je suis là à 09h30. Personne. 10h00. Personne. Je me dis que c’était trop beau, et je rentre chez moi. À 14h45, je suis à nouveau là, par acquis de conscience. Et je fais bien : on me présente au capitaine du club, qui donne son aval, et c’est parti. Ils sont tout surpris que j’aie déjà un kimono (appelé ici dogi), ce qui fait que j’explique à certains que je ne suis pas exactement un débutant. Comme ils ne portent pas le hakama, la confusion est vite faite.

Je commence donc mon premier cours, sous la supervision d’une gradée qui me sert de mentor. L’échauffement est réglé comme du papier à musique : l’enchaînement des exercices est le même. Premiers échauffements, étirements... quand commencent les étirements du poignet, elle se rapproche de moi, pour se rendre compte que je fais ce qu’il faut. Pas de commentaire, mais elle a l’air un peu perplexe. Bon, ça veut dire qu’on ne lui a pas signalé que j’aivais six ans d’Aïki dans les pattes. Au moment des chutes, rebelote. Là, je la sens vraiment intriguée. Chutes sur place, puis au travers de la salle, et une longueur de marche à genoux, qui me rappelle combien le hakama peut être confortable pour cet exercice.

La suite de l’échauffement est formé par une suite de déplacements, que je fais au ralenti sous la gouverne de mon mentor. Les premiers vont bien, mais j’ai du mal à mémoriser tout l’enchaînement. J’ai mis en fait quatre jour à le mémoriser, et je m’emmêle encore les pieds quand il s’agit d’avancer le bras gauche et la jambe droite. Quand on a l’habitude de toujours avancer le bras et la jambe correspondante, c’est très perturbant. Fin de l’échauffement, et elle finit par me demander si j’ai déjà fait de l’Aïkido. Bon, une personne de plus au courant, espérons que l’information circule...

Le cours commence par une répétition des kata. C’est là que je me rends compte qu’il n’y a pas de profs. Le capitaine gère le timing des différentes parties du cours, et les anciens élèves (sempaï) forment les plus jeunes. Là, le scénario de l’échauffement se répète : mon partenaire me montre les cinq premières techniques, et se trouve un peu surpris que seul l’ordre des différentes techniques me pose problème. La situation est à la fois amusante et embarassante.

Le cours passe ensuite au travail au couteau. Là, je dois tout réapprendre, puisque leurs touches sont au torse dans un mouvement de fente, mais la touche doit se faire légèrement de haut en bas. Le capitaine donne un ordre, les débutants s’alignent, saluent et se répartissent dans la salle. Pendant une demi-heure, ils servent d’uke aux différents pratiquants plus avancés, avec changement de partenaire toutes les deux minutes (exactement : un élève chronomètre et donne les ordres de changer). Je reste sur le côté à regarder.

Suit un entraînement au randoori à mains nues, puis un au couteau. Comme on m’a suggérer de regarder, je m’abstiens de participer. L’exercice n’est pas si déroutant que ça, mais mes mentors sur-estiment manifestement la différence entre l’Aïkido Shodokan et l’Aïkido Aïkikaï.

Fin du cours, rendez-vous le lendemain matin. J’apprends au passage qu’il y a un premier cours de 6h40 à 9h00 (auquel je ne suis jamais allé), et que les cours du matin sont de 10h15 à 12h30, expliquant ma mésaventure matinale. Une ambiance très chaleureuse règne dans le club, qui semble essentiellement auto-géré par les élèves.

Le lendemain matin, je suis fidèle au poste. Ma prestation s’améliore lors de l’échauffement, mais je me sens encore bien malhabile. Il faut dire que les autres pratiquants font ça depuis au moins six mois. Pendant les trois jours qui suivent, le modèle de premier cours se reproduit, et je suis progressivement autorisé à prendre part aux différents types de travail : faire chuter les pratiquants plus récents (en fait, je m’étais mis dans la ligne pour subir, et j’ai été prié de prendre plutôt le rôle de tori), préliminaires au randoori à mains nues. Je reste un peu frustré de ne pas pouvoir (oser) prendre part aux randoori au tanto. C’est qu’à partir du troisième jour, on a manifestement estimé que je savais me débrouiller. Pour ma part, je pensais me lancer dans les derniers jours. Pendant ce temps, j’ai à peu près appris les deux kata debout. Au passage, je profite du fait que les anciens n’hésitent pas à me corriger, et j’apprends à prêter attention à plusieurs points qui améliorent notablement mes sankyo et autres uchi kaïten (pourtant une de pes techniques favorites). Pendant que j’apprends les kata à mains nues avec les débutants, je regarde du coin de l’œil les avancés faire les kata au bokken et au bâton. Bon, pas de regret, il ne semble pas y avoir là de chose que je n’aie déjà pratiquée.

À partir du quatrième jour cependant, le type des cours change. En effet, différents enseignants se présentent, et le gros du cours ressemble aux cours que nous faisons à l’Aïkikaï. Cette forme de travail semble assez peu familière à mes partenaires, et je suis assez surpris de las voir peu dynamiques dans cet exercice, alors qu’ils enchaînent habituellement les techniques à un ruthme élevé. Le travail se révèle aussi moins intéressant, d’atant plus que cela ce fait, en termes de temps, au détriment des exercices auquels j’ai été autorisé à participer.

Les deux derniers jours, je comprends cependant le pourquoi de la chose. Devant un professeur entouré de grandes marques de respect (j’ai compris plus tard qu’il devait s’agir du président de leur fédération), les avancés non encore ceinture noire démontrent des kata, et le lendemain après-midi, je peux assister à un entraînement à la compétition, les anciens faisant office d’arbitres, ce qui me donne l’occasion de bien comprendre les conséquences des règles de la compétition sur la pratique quotidienne.

Au final, je reste sur une impression en demi-teinte. J’ai appris beaucoup de choses au cours de cette semaine, et cela m’a permis de prendre un recul intéressant vis-à-vis de ma pratique habituelle. Cependant, les quatre derniers jours, j’ai travaillé presque exclusivement avec le pratiquant le plus débutant, les autres montrant peu d’empressement à pratiquer avec moi. Du coup, je me suis retrouvé dans la position inconfortable d’expliquer les techniques. De même, je reste sur ma faim, n’ayant pas encore pris part à un randoori. Je reste cependant conscient que je suis triplement responsable de cet état de fait. Je suis en effet arrivé à un mauvais moment (cette semaine est l’aboutissement du semestre pour eux, le nouveau semestre commençant en avril), ce qui faisait de mon quasiment l’unique débutant, ma situation en tant que débutant dans leur école mais avancé en Aïkido n’est pas simple à gérer pour eux, et je n’ai peut-être pas assez osé me lancer dans les derniers jours. Surtout, une semaine, fut-elle intensive, est un temps bien court pour se mettre complètement dans le bain.

AU moment où j’écris cet article, je ne sais pas encore si je vais retourner pratiquer avec eux dans les semaines qui viennent, ou retourner pour un mois au Hombu Dojo. Suite au prochain épisode...

Partager

Commentaires

1 Message

  • Mathieu Perona 22 mars 2005
    07:16

    Pas de quoi en faire un article, mais on me pose souvent la question : les tremblements de terre. Il a dû y en avoir cinq ou six depuis mon arrivée à Tokyo. Je ne m’en souviens pas très bien parce que la plupart ont eu lieu la nuit, et donc m’ont à peiné réveillé.

    Deux valent cependant la peine que je les raconte :
    - le premier a eu lieu en février, et constitue la plus forte secousse à Tokyo depuis cinq ans. J’ai été assez impressionner pour sauter de mon lit et aller me mettre sous mon bureau deux mètres plus loin, comme l’indiquent les consignes de sécurité.
    - le second a eu lieu pendant un cours d’aïkido. La surface du dojo est formée de tatamis comme ceux d’Amyot, posés sur les tatamis de paille de riz, eux-mêmes posés sur du plancher flottant. Autant dire que la surface est tellement élastique que quand six personnes pratiquent, on sent le sol vibrer. Le dimanche du stage, je me faisais la remarque que s’il y avait un tremblement de terre à ce moment-là, personne ne s’en rendrait compte. Lundi après le cours, j’apprends qu’un tremblement de terre vient de se produire. Je n’avais effectivement rien senti...

    Pour aller un peu plus loin, l’abondance des tremblements de terre au Japon induit des habitudes spécifiques, comme l’arrimage quasi-systèmatique des meubles aux murs, peu d’étagères hautes dans les maisons, et les meubles hauts loin des lits, le remplacement des clôtures en béton par des haies vives,... Ce dernier point fait de Tokyo une ville agréablement verte.

    Bonne pratique à tous !

    repondre message

Répondre à cet article