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Une adaptation de "Manual for Appreciating the Japanese Sword" du Musée du sabre japonais de Tokyo.
Cet après-midi, je suis allé faire un tour au Japanese Sword Museum de Tokyo. Placé à une certaine distance de la gare de Shinjuku, le Musée occupe un étage d’un bâtiment consacré à la préservation des anciennes lames et de leurs techniques de fabrication. À l’entrée, on m’a donné un petit Manual for Appreciating the Japanese Sword, que j’adapte ici.
Je remercie l’auteur du site nippon-to pour m’avoir autorisé à reproduire les images qui illustrent cet article. Je vous recommande d’ailleurs la lecture de son site si cette introduction vous a intéressé.
L’art de la fabrication des lames japonaises, dites Nipponto, désigne la fabrication de lames de diverses formes. Le katana, le wakisashi et le tanto sont les formes les plus commues, mais le ken (dague), la naginata (lame de hallebarde) et la yari (pointe longue de lance) sont conçus selon les mêmes principes. Rappelons brièvement les caractéristiques de certaines de ces lames :
Le tachi. Quand les lames sont disposées de façon traditionnelle, lame une posée sur un support recouvert par un linge blanc, le tachi est posé tranchant vers le bas. Il s’agit en effet de lames utilisées de l’ère Heian au début de l’époque Muromachi [1], qui étaient portées tranchant vers le bas dans des fourreaux pendus à la ceinture par une corde. Les tachi ont en général une courbure (sori) importante, et leur longueur habituelle est comprise entre 65 et 70 cm. Cette longueur ainsi que le type de port indique que ces armes étaient en général dégainées avant le début du combat, comme c’est le cas de la plupart des sabres de cavalerie.
Le katana. Cette forme remplaça le tachi vers le mileu de l’époque Muromachi, et resta dominante jusqu’à l’interdiction du port du sabre au début de l’ère Meiji. Le katana fait au moins 60,6 cm (2 shaku). Il est donc plutôt plus court que le tachi. Le katana est porté (et présenté) lame vers le haut, le fourreau étant directement glissé dans la ceinture puis attaché. Certains katana étaient à l’origines des tachi qui ont été raccourcis par le procédé de suriage, qui consiste à réduire la longueur de l’arme en rognant la partie de la lame la plus proche de la garde.
Le wakisashi. Ce terme désigne les lames entre 30,3 et 60,6 cm (1 à 2 shaku). Portées à la ceinture de la même manière que le katana, formant aux époques Momoyama et Edo le dai-sho, paire de sabre caractéristique de la classe des samouraïs. Les wakisashi les plus courts, autour de 36 ou 40 cm (1 shaku 2-3 sun) sont appelés ko-wakisashi.
Le tantoo. Il s’agit des lames de moins d’un shaku, autrefois appelées koshi-gatana, "lames portées à la hanche", par opposition au tachi.
Dans chaque catégorie, on distingue différents types de lames, sans crête
(la crête est la partie saillante sur le côté de la lame qui sépare la part
où les flancs se resserrent vers le tranchant de celle où ils se resserrent
vers le côté non tranchant), à crête proche de la lame, à crête proche du
côté non tranchant, certaines lames étant même à double tranchant.
La technique de forge des sabres japonais est très particulière. Aujourd’hui encore, des scientifiques invitent des forgerons japonais afin d’étudier leurs techniques en vue d’améliorer la qualité des aciers produits industriellement.
Un bon sabre doit pourvoir garder un bon tranchant, résister aux impacts (donc ne pas être cassant) et à la flexion (donc raisonnablement souple). Afin de répondre à cette triple exigence, le sabre japonais est composé d’un cœur de fer doux (shingane), à faible teneur en carbone [2], enrobé d’acier dur (kawagane) à plus haute teneur en carbone. Ce dernier le matériau de base est appelé tama-hagane. Il s’agit d’un acier obtenu à l’aide de forges traditionnelles au charbon. Contrairement aux procédés modernes, très rapides, ce processus de fabrication de l’acier conduit à une diminution lente de la teneur en carbone, conduisant à un arrangement plus régulier des atomes de carbones dans le cristal de fer, donnant un acier d’excellente qualité (mais très onéreux à produire). L’ensemble est ensuite martelé en feuille, replié sur lui-même et remartelé, processus répété jusqu’à quinze fois. C’est ainsi qu’observé au microscope électronique, le tranchant d’un sabre se révèle être composé d’une superposition des très fines extrémités des feuilles ainsi repliées sur elles-mêmes, ce qui explique le processus particulier d’affûtage, ou plutôt de polissage du sabre pour lui donner son tranchant.
Le processus exact de fabrication de cet acier était jadis le secret de chaque école de forgerons. On peut ainsi distinguer les écoles à l’aspect (le grain) des lames. Les japonais parlent ainsi d’itame (rappelant le bois), mokume (grossier), masame (régulier), nashiji (grain fin rappelant la perle),...
Une part essentielle de la forge d’une lame est la trempe, réputée la partie la plus difficile du travail et celle faisant le plus appel au savoir-faire de l’artisan. Une fois que le bloc de métal formé du cœur de fer et de l’enrobage d’acier a été martelé et replié plusieurs fois, la lame est enrobée de terre glaise (yakiba-tsuchi). À l’aide de spatules, la couche de terre est amincie du côté du futur tranchant afin de l’exposer plus à la chaleur et ainsi le durcir. Ce procédé (tsuchidori) crée sur la lame des motifs, hamon, distinctifs de chaque lame. Si sur certaines lames ce motif est parallèle au tranchant, il peut former sur d’autre des dessins complexes. Ces dessins sont dûs à l’inégale vitesse de refroidissement de l’acier lors de la trempe.
Il existe un très riche vocabulaire pour décrire les différentes parties du hamon ainsi que le hamon lui-même, selon l’allure et la disposition de la partie mate (au grain très fin) et de grains plus grossiers. Les moyens modernes ont montré que ces différences ne sont pas qu’esthétiques, et qu’elles signalent la façon dont sont organisées les couches de fer doux et d’acier dans la lame, indiquant ainsi ses qualités. Si une demande existe (utilisez le forum de l’article), je retranscrirais cette partie du manuel.
La pointe du sabre, booshi, est l’objet d’une attention particulière. Aussi appelées kissaki, elle est souvent révélatrice de l’époque de la lame et de l’école de son auteur.
De même, la partie non polie de la lame qui s’insère dans la garde peut porter un certain nombre de lignes distinctives de telle ou telle école. C’est également sur cette partie que peut être portée la signature de l’artisan, gravée ou incrustée.
La lame elle-même porte parfois aussi des gravures, horimono, pouvant avoir des fonctions pratiques (alléger l’arme ou modifier son équilibre), religieuses ou simplement décoratives. La partie de la lame immédiatement avant la garde est le point privilégié des décorations, avec des motifs récurrents (le dragon lové autour d’une lame, la grue et la tortue, symboles de longévité, la pin, le bambou, le cerisier et le légendaire mont Hoorai, symbole de l’éternelle jeunesse). On trouve également le nom de différents Bouddhas et Boddisatvas.
1. Jookotoo, les temps anciens
Les plus anciennes lames connues ont été trouvées dans des tumulus funéraires datant du 4e au 9e siècle, ainsi que dans le trésor du temple Shoosooin, construit durant l’ère Nara (8e-10e siècles). Ces lames sont droites, sans courbure, et sont sans crête ou avec une crête proche du tranchant.
2. Fin de l’époque Heian-début de l’époque Kamakura (12e siècle)
Les lames prennent l’aspect qu’on leur connaît actuellement de lame avec côté tranchant (zukuri) et non-tranchant (shinogi). Les crêtes se font plus profondes, et la lame est plus large à la base qu’à la pointe. La courbure est également très marquée à la base et moins au sommet, donnant une très forte impression de tension à proximité de la pointe.
3. Milieu de l’époque Kamajura (milieu du 13e siècle)
Cette période coïncide avec l’apogée du pouvoir des samouraïs, basés dans leur capitale orientale de Kamakura (Nara restant la capitale d’un empereur de moins en moins puissant, par opposition au shogun, général en chef, de Kamakura). C’est également l’âge d’or du tachi, dont la lame épaisse va s’amincissant de la base à la pointe, avec une ample courbure et parfois une crête, placée plus près du shinogi. Les samouraïs de l’époqie apprécient les hamon irréguliers. De nombreux tantoo sont également fabriqués à cette période.
4. Fin de l’époque Kamakura (début du 14e siècle)
La forme de la lame devient plus robuste et régulière, avec une largeur presque uniforme de la base à la pointe, qui devient ainsi plus large. De nouvelles formes de hamon, en zigzag ou en vague, apparaissent, avec un grain plus épais. C’est à cette époque qu’étaient actifs Masamune et son élève Sadamune, peut-être les deux plus célèbres facteurs de sabres de l’histoire. On peut noter que cet attrait pour un grain plus grossier va de pair avec l’émergence du goût pour les raku et autres instruments irréguliers prisés par l’esthétique zen (en particulier dans le cadre de la cérémonie du thé) parce que permettant de ressentir la personnalité et les sentiments de leur auteur.
5. Nonbokuchoo (14 e siècle
Cette période voit l’apparition de tachi particulièrement longs, de plus de 3 shaku [3], 90,9 cm, accompagnés de tantoo larges et sans crête. La plupart de ces longs tachi furent plus tard raccourcis en katana [4].
6. Début de l’ère Muromachi (14e-15e siècles)
Cette période voit un retour en faveur des formes du début de l’ère Kamakura, avec une abondante production de tantoo et de wakizashi.
7. Fin de l’ère Muromachi (milieu du 16 e siècle)
Comme toutes les fins d’époque, cette période est marquée par la guerre civile. Celle-ci voit la montée en puissance des gros corps de fantassins au détriment de la cavalerie. De ce fait, l’uchi-gatana, sabre porté tranchant vers le bas directement dans la ceinture, gagne en popularité. Après les grandes guerres civiles d’OO’nin et de Bunmei, des conflits sporadiques éclatent dans tous le pays, nourrissant une demande massive de sabres. Afin de les distinguer des lames plus anciennes, produites sur commande, ces lames de qualité inférieurs sont appelées kazu-uchi mono, "produites en nombre".
8. Epoque Momoyama (1573-1614)
La période Kaichoo (période de guerre générale allant de 1596 à 1614) marque une rupture ans l’histoire des sabres. Les lames antérieures sont appelées kotoo, anciennes lames, et les sabres postérieurs sont appelés shin too ou arami, nouvelles lames. À cette époque, les forgerons se rassemblent autour des villes fortifiées des seigneurs féodaux. Le développement des transports facilite l’approvisionnement en acier et autres matériaux, y compris des aciers importés.
9. Epoque Edo (1614-1807)
Cette période de paix génère l’explosion des motifs décoratifs sur les lames et sur le hamon.
10. Fin du Shogunat Bakumatsu.
Les lames produites à cette époque sont appelées shin-shin-too, nouvelles nouvelles lames ou fukkotoo, renaissance, marquant une volonté de retrouver les techniques et la qualité des anciennes lames.
11. Depuis l’ère Meiji (de 1868 à nos jours)
Une des premières décisions de modernisation du Japon fut d’interdire le port du sabre, symbole de la division féodale de la société en classes. De nombreux forgerons furent ainsi mis au chômage, et se reconvertirent dans la fabrication d’outils agricoles ou domestiques (vous avez déjà entendu parler des couteaux japonais ?). Cependant, dès 1906, le gouvernement impérial éleva deux des plus importants facteurs de sabres à la dignité d’Artisans Impériaux, permettant la survie des techniques de forge des sabres. Aujourd’hui, la fabrication de sabres est une activité prospère, avec de nombreux artisans préservant et cherchant à redécouvrir les anciennes techniques, parfois avec l’aide de la technologie le plus avancée.
[1] Pour les dates des époques, voir la chronologie du Japon.
[2] Rappelons que l’acier est un composé de fer et de carbone, un plus fort taux de carbone rendant l’acier plus résistant, mais moins souple, donc cassant. À partir d’un certaine teneur en carbone, on parle de fonte, très cassante
[3] Pour les amateurs du manga Kenshin le Vagabon, c’est l’arme d’Ajime Saïto
[4] Encore une note : les mots japonais n’ont pas de pluriel. Dans ce cas, on peut soit leur mettre un "s" comme un pluriel français, soit respecter la forme japonaise. C’est ce que je fais. Je sais, c’est un peu perturbant, mais cela me gêne de voir des "s" à la fin de mots japonais
1 Message
16:44
Merci pour cet article bien informatif . les illustrations viennent vraiment à point pour la compréhension du texte. Merci à l’auteur du manuel d’en avoir permis la reproduction. Bonne idée d’avoir inclus l’historique, ça me donne envie d’en apprendre plus sur l’histoire du Japon.
Tu feras vraiment, un jour peut-être, un excellent enseignant ! Wildgoat ;-) :-D
Voir en ligne : spip/article.php ?3id article 357
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