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Les arts martiaux se réfèrent volontiers à une « histoire millénaire » ayant son origine lointaine en Chine. Si cette idée est paretiellement vraie et qu’une histoire des arts martiaux ne saurait se passer d’une étape au monastère de Shaolin, les racines des arts martiaux sont à la fois plus lointaines et plus profondes. Ce petit tour d’horizon vise à montrer à quel point les arts martiaux sont le fruit d’une synthèse qui embrasse aussi bien les techniques de combat du nord de l’Inde que les réflexions érudites de L’Art de la guerre.
Sommaire
Bien qu’on ait retrouvé des figures représentant des techniques de combat remontant à l’époque mésopotamienne,
c’est probablement en Inde que se situent les germes des arts martiaux au sens usuel. En effet, si les techniques
mésopotamiennes ont aussi été exportées vers l’ouest, comme le montrent certaines reproductions de lutte grecque,
de pancrace ou de pugilat, ces disciplines n’y ont jamais pris une signification autre qu’une pratique physique,
qu’on peut qualifier de sportive.
En Inde au contraire, les techniques martiales semblent s’être très tôt articulées avec des considérations
philosophiques et religieuses (les deux étant indissociables dans la pensée indienne). Ainsi, les lieux
d’entraînement traditionnels du kalaripayat sont-ils situés à proximité des temples et constituent des
espaces sacrés, dont les règles ressemblent fort à celle d’un dojo. Ce serait en Inde que les gestes techniques auraient
été associés aux mouvements des animaux ainsi qu’aux pratiques médicinales. Cette double association souligne d’emblée
une caractéristique fondamentale des arts martiaux orientaux en général, qui est leur inscription forte dans une vision
du monde holiste, qui ne conçoit pas la partie isolée du tout. À ce titre, les techniques martiales se devaient
d’exprimer la plus grande harmonie possible entre leur pratiquant et de monde qui l’entoure. De là l’observation des
animaux pour fonder des mouvements qui devaient permette de s’approprier leurs qualités propres. De là aussi découle
l’assimilation par les techniques martiales de techniques de contrôle du corps venues d’autres horizons, Avant même de
quitte l’Inde, ces techniques avaient assimilé des techniques de respirations empruntées à l’ascétisme (yoga) et une
connaissance des points vitaux issue de la médecine énergétique traditionnelle (notions de chakras et de méridiens où
circule l’énergie vitale prana, le chi ou ki).
L’extrême diversité des arts martiaux chinois, ainsi que leurs références à des principes taoïstes,
donne à penser qu’ils furent importés d’Inde avant le bouddhisme. Il est en tous cas certains qu’il existait des
techniques de combat avant l’ère chrétienne. Mais il s’agissait à l’époque de pratiques probablement populaires, à visée
sans doute plus sportive que martiale. On retrouve en effet des témoignages et des annales en faisant mention, mais
aucune description précise, même dans des textes médiévaux. On peut cependant penser que certaines caractéristiques des
arts martiaux chinois étaient déjà en place, comme l’importance des mouvements circulaires, les références aux forces
élémentaires représentées par des animaux semi-mythiques (tigre, dragon, héron, serpent, ...), et l’attention portée à
la dimension énergétique des mouvements.
Classiquement, on distingue les arts martiaux chinois an arts externes et arts internes, les premiers sollicitant la
force musculaire et faisant référence à des situations de combat réelles, les seconds se fondant sur des mouvements
lents, visant plus à renforcer énergiquement l’organisme. on associe généralement les arts externes au bouddhisme et
au monastère de Shaolin, les arts internes au taoïsme et au monastère de Moudang.
Cette distinction, pourtant, ne semble que partiellement fondée, et surtout obscurcit l’apport des arts martiaux chinois
à la culture des arts martiaux. Mais pour bien la comprende, il faut faire un détour par des éléments historiques et
culturels plus généraux, qui permettent de recadrer ces deux types de pratique dans leur contexte propre.
Revenons assez loin en arrière, aux alentours du IVe siècle avant notre ère. La Chine est découpée en plusieurs royaumes
rivaux, qui se livrent des guerres incessantes. L’histoire habituelle de l’époque semble-t-il. Certes, mais
contrairement à la Grèce ou à l’Italie, la Chine fournit à la fois de grands espaces et une population nombreuse, ce qui
permettait des batailles d’une ampleur que seul le XXe siècle égalera. Par un système d’encadrement et de conscription,
les stratèges parvenaient à rassemblait des armées fortes de centaines de milliers d’hommes. Des sources fiables font
état d’affrontement opposant plus d’un million de combattants, et de pertes de l’ordre de la centaine de mille.
C’est dans un tel contexte que fut rédigé L’Art de la guerre. Ce qui frappe à la lecture de cet ouvrage à
destination des stratèges, c’est que la prouesse martiale individuelle est comptée comme quantité négligeable. Comme il
est impossible (voir dangereux) d’offrir un entraînement complet aux masses paysannes qui constituent les troupes, la
connaissances des techniques martiales cède le pas à la capacité à contrôler les hommes. Les qualités du guerrier sont
même dévalorisées, puisque non seulement elles ne servent à rien face à de telles masses humaines, mais en plus elles
s’opposent aux stratagèmes, ruses et autres tromperies qui constituent l’art du stratège.
On comprend bien que dans de telles circonstances, la guerre soit vécues par tous comme une calamité, et universellement
déplorée. L’idéal explicite dans L’Art de la guerre est la victoire sans combat par le fait de convaincre
le général adverse que sa défaite est inéluctable. Si tout le monde est d’accord sur ce principe, les avis diffèrent
sur la manière d’y parvenir. On peut distinguer quatre courants : les confucéens, les taoïstes, les légistes et les
stratèges. Les confucéens mettent en avant la puissance supérieure de la Vertu qui attache les
hommes à leurs chefs, et fait hésiter les adversaires. Les taoïstes soulignent plutôt la nécessité de l’harmonie
avec les forces élémentaires, qui fait qu’attaquer un homme en harmonie avec le monde revient à attaquer le monde
lui-même. Les légistes insistent sur l’organisation sociale, qui doit soumettre l’ensemble des activités du peuple à
la volonté du pouvoir par le biais d’une discipline inflexible. Les stratèges enfin se consacrent à l’étude de la
gestion et du contrôle des troupes de manière à toujours se placer dans une situation où le combat serait au
désavantage de l’adversaire.
De ces quatre éléments, trois sont présents explicitement dans L’Art de la guerre, qui ne refuse que la
vision taoïste. Or, cet ouvrage constituait une référence obligée pour un guerrier tant soit peu lettré. C’est ainsi
que l’idéal d’une victoire sans combat a investit non plus la guerre de masse mais le combat individuel et le monde
des arts martiaux, et avec lui ses moyens canoniques ramenés à la gestion des relations entre l’esprit et le corps.
Il faut d’ailleurs noter que le courant taoïste est lui aussi présent en mineure via les relations que les arts
martiaux entretenaient avec les médecines traditionnelles.
Un élément constitutif des arts martiaux est cependant encore absent de ce tableau, puisqu’il reste à rendre compte
de la rencontre des pratiques martiales avec le bouddhisme. C’est cette rencontre qui est donne toute son importance
au monastère de Shaolin.
Les légendes sur le monastère du petit pin sont nombreuses. Une des plus connues attribue l’introduction des
arts martiaux dans le monastère au moine indien Bodiharma, adepte de la méditation ch’an (zen en Japonais),
aux alentours du VIe siècle.
Pour permettre aux moines de supporter la contrainte physique imposée par cette forme de méditation, il leur
aurait enseignées des techniques respiratoires et physiques, qui auraient donné naissance au
shaolinkwon.
L’existence même de ce moine est l’objet de controverses érudites. Il est néanmoins certain que les moines
pratiquaient la lance et le bâton avant le VIIe siècle. La contribution de treize d’entre eux à une opération
de Li Shinmin, futur fondateur de la dynastie Tang, a été jugée suffisante pour être enregistrée dans les
annales. une légende attribue l’origine de ces techniques de bâton à un dieu bouddhiste, curieusement
représenté selon les canons mongols, ce qui semble être une indication sur l’origine de ces techniques. Toujours
est-il qu’après un âge d’or sous les Tang et les Song, le monastère semble décliner, au point qu’au XVIe, les
moines durent réapprendre les techniques de la lance auprès de militaires en visite, comme le général Yu Daiyu.
il faut dire qu’entre-temps, plusieurs moines s’étaient consacrés à la mise au point de techniques à mains nues
qui soient à la hauteur des techniques de bâton. La légende se développe ensuite dans un sens plus proprement
chinois, quand les Ming sont renversés par les Qing (Mandchous) et que le monastère devient un foyer de
résistance, et le shaolinkwon en symbole de l’identité chinoise. Il donnera d’ailleurs son nom à la guerre des
boxers.
Que penser de cette histoire où faits et légendes sont difficilement dissociables ? Deux éléments sont sans
doute essentiels pour notre propos. D’une part, le fait que l’association entre la pratique martiale et une
recherche spirituelle soit jugée suffisamment importante pour attribuer au même personnage l’introduction de ces
deux éléments. D’autre part, le monastère préfigure d’une manière particulière les arts martiaux actuels, dans
la mesure où ceux-ci étaient pratiqués non pas dans un but guerrier, mais comme moyen et objet d’une recherche
d’équilibre entre les exercices physiques et les exercices intellectuels. Le monastère servit ainsi de creuset,
intégrant l’évolution des arts martiaux, y compris l’apparition de styles dits « internes », comme le
taichikwon, et avec eux des éléments de la médecine des maîtres taoïstes.
Ainsi, on peut estimer que l’essentiel des éléments constitutifs des arts martiaux modernes étaient présents
en Chine dès le XVIe siècle. L’idéal de victoire sans combat devait s’imposer comme une évidence à des moines
versés dans l’enseignement bouddhiste, la maîtrise du corps et des énergies par l’exercice physique constituait
déjà le coeur de la pratique martiale. Cependant, il faut souligner qu’à la différence des arts martiaux tels
que nous les voyons au Japon, il s’agit d’une pratique de clercs. Il y a bien eu des moines pour quitter le
monastères (porteurs, sur leurs avant-bras, du tigre et du dragon qui attestaient de leur affiliation), mais
on ne peut pas parler d’écoles au sens habituel du terme. En effet, il n’y avait pas un public semblable aux
samouraïs : l’importance du système confucéen donnait la primauté aux valeurs des lettrés, et la pratique
martiale ne pouvait s’imposer par son efficacité, car le cadre restait celui de la guerre de masse.
Pour comprendre la diffusion des arts martiaux parmi les laïcs, il faut donc maintenant traverser la mer du
Japon, et étudier comment les arts martiaux ont rencontré au pays du soleil levant une structure propre à leur
fournir une assise plus large.
C’est Chine et Japon : le conte de deux Empires
Auteur : Mathieu Perona
Mathieu.Perona@ens.fr
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