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22 juin 2002
Mathieu Perona

Après la Guerre, la Paix

Les années après la deuxième guerre mondiale sont une période de
renconstruction pour le Japon. Pour l’Aïkido, c’est l’accomplissement d’une
logique interne et de la volonté du fondateur, qui conduisent à la
dissémination et la l’universalisation de sa pratique. C’est un passage
crucial, et difficile, d’une pratique confidentielle et limitée à une
pratique qui s’adresse à tous et sur tout le globe.


Les arts martiaux après Hiroshima
Le chemin de la Paix d’un expert en combat

Le problème est ici le même que celui évoqué à la fin de la partie précédente. Les sources se font plus rares et moins détaillées, alors que l’on pourrait penser la période mieux documentée. C’est un peu comme si O’Sensei échappait d’une certaine manière à l’analyse biographique. Néanmoins, je vais tenter de rendre compte du mieux possible de l’aventure de l’Aïkido jusqu’à sa forme présente.

Sommaire

Les années d’après-guerre

Les dernières années de Morihei sont bien plus calmes que ses premières. Elle se déroulent entre Iwama et les cours qu’il va donner à Tokyo et dans tout le Japon. Pourtant, il date lui-même de 1949 la grande transformation intervenue dans sa pratique, transformation passée par une refonte complète des techniques qui, si leur forme extérieures restaient similaires, devinrent pour lui des instruments de paix et d’amour. À cette époque, il menait une vie quasiment monastique, n’enseignant qu’à l’occasion à Tokyo, et passant plus de temps dans ses cours à exposer la philosophie de l’Aïkido qu’à démontrer les techniques (ce que ses disciples pouvaient faire). Les témoins rapportent qu’il mettait alors l’accent sur l’aspect non-violent, mental et spirituel de la pratique, insistant sur le fait que ces dimensions devaient être visées au travers de toute technique, et qui en constituaient le fondement. Cette évolution n’allait pas sans dérouter les élèves. Les plus anciens, habitués aux formes d’avant-guerre, n’ont pas toujours compris ne suivi l’évolution vers de formes plus épurées, apparemment moins martiales. Les plus récentes eux se demandaient ce que venaient faire ces élucubrations dans la pratique d’un art martial. C’est de cette époque que datent les nombreuses anecdotes sur Morihei montrant taï-sabaki quand on lui demandait de montrer la techniques ultime de l’Aïkido, ou montrant deux techniques apparemment différentes en disant que c’était la même.

Pourtant, on voit qu’il avait accompli une synthèse des différents aspects des arts martiaux, synthèse si longtemps tenue en échec par les circonstances historiques. Or, ces mêmes circonstances, pour dramatiques qu’elles soient, favorisaient la réception de cette synthèse. En raison de sa non-violence, l’Aïkido fut en effet le premier art martial ré-autorisé (les entraînements à Iwama n’avaient cependant jamais cessé), et en tant que tel devint un attrait majeur pour tous ceux que la politique culturelle des forces d’occupation américaines blessait. Dans un même temps, la défaite avait signé l’effondrement de l’esprit militariste, et il devenait possible pour les nouveaux pratiquants d’envisager une pratique martiale qui ne soit pas tournée vers la guerre, principal problème auquel Morihei s’était heurté avant la guerre. Je me demande s’il ne faut pas mettre au crédit de cette insistance sur les aspects ésotériques de l’Aïkido le fait que la pratique ne soit pas rentrée dans une logique purement sportive. L’attachement du Morihei à la tradition y est sans doute pour beaucoup, puisque contrairement à ce que faisait le fondateur du Judo, il refusait cette logique, même en tant qu’instrument de diffusion de son art (les deux Maîtres étaient par ailleurs d’accord sur le sens du budo).

Pour assurer la diffusion de l’Aïkido, qu’il pensait appartenir au patrimoine commun de l’humanité et pas seulement au peuple japonais, Morihei envoya certains de ses plus proches élèves aux quatre coins du monde. Ironie du sort, ils furent souvent accueilli par les dojos locaux de Judo.

Du point de vue de l’histoire d’ensemble des arts martiaux, l’Aïkido joue sans doute un rôle très important à cette époque. En effet, la défaite s’est accompagnée d’une remise en cause profonde des valeurs du Japon traditionnel, qui a jeté le doute sur les valeurs des arts martiaux. C’est à cette lumière qu’il faut voir la transformation de certains arts martiaux en sports de combat : c’était à l’époque sans doute la seule façon de préserver leur existence. En sortant par un autre biais de la logique de combat, l’Aïkido emprunta une autre voie. Les valeurs qu’il exprimait se trouvaient être universelles, et mettaient l’accent sur une dynamique de construction. S’il serait exagéré de dire que l’Aïkido fut le seul à conserver les valeurs des arts martiaux dans ce qu’elles ont à la fois d’ancien et d’universel, on peut dire qu’il servit de vecteur à la redécouverte de ces valeurs. Cependant, ce rôle de l’Aïkido passait par sa dissémination, et surtout une évolution interne qui n’alla pas sans tensions.

Les envoyés

Nous entrons ici dans le domaine de l’histoire immédiate. C’est un domaine particulièrement sensible, car les susceptibilités sont encore à vif, et de nombreux acteurs sont encores vivants. Vous me pardonnerez donc de rester pour l’instant à un niveau assez général de mon exposé.

il semble que ce soit sur les instances de son fils Kishomaru que Morihei Ueshiba ait accepté d’envoyer certains de ses meilleurs élèves aux quatre coins de la planète. Il était certes conscient de l’universalité de son message, mais on l’a entendu douter de la possibilité d’enseigner l’Aïkido hors des cadres de l’enseignement traditionnel japonais, et les premiers envoyés ont exprimé la même crainte. P. Chassang rapporte ainsi les paroles de Me Matsuharu Nakazono : « Aïkido, pas possible association comme fédération, Aïkido, pas possible examens et juges ».

Si je souligne ce problème, c’est pour mettre en évidence la position particulière de ces envoyés, le plus souvent très jeunes, une trentaine d’années au plus, qui n’avaient passé somme toute que peu de temps à pratiquer, une dizaine d’années, en regard des quarante ans de recul des techniciens actuels, et qui arrivaient dans des pays dont ils ignoraient les coutumes, voire même la langue. Il faudrait pouvoir retracer toutes les étapes de cette installation, les itinéraires des différents maîtres, et faire appel à la mémoire de ceux qui ont vécu ces premiers temps. Mais comme je l’ai dit, il n’est sans doute pas opportun de décrire aujourd’hui ce passé pas si ancien.

Ce qu’on peut en revanche noter, c’est que chacun de ces envoyé a pu arriver et développer sa propre vision de l’Aïkido, et qu’il se dégage des effets de générations qui reflètent l’évolution de l’aspect de la pratique de Ueshiba, dont les envoyés les plus anciens étaient en partie isolé. Ce qui pourrait apparaître comme un problème constitue en fait une richesse, puisque nous pouvons ainsi retrouver différents aspects d’une même pratique, alors que le seul résultat final nous serait sans doute incompréhensible.

Un autre aspect très important de leur travail a été l’insertion dans les structures existantes, ce qui a permis le développement de l’Aïkido à l’étranger. La France est un modèle extrême du genre, puisque l’intégration a commencé dans la fusion, avec la Fédération Française de Judo. C’est largement grâce à ce cadre que l’Aïkido a pu se développer très rapidement en France, y trouvant un vivier de pratiquants, ainsi qu’un système d’aorganisation des grades et des examens à l’occidentale. Cette fusion est cependant devenue pesante dès lors que l’Aïkido exprimait ses particularités propres, notamment le refus de la compétition. Il s’est donc émancipé du judo, mais l’intégration était faite : la structure fédérale s’imposait comme un modèle incontournable.

L’oeuvre des doshus

Ce processus, c’est largement l’histoire de l’Aïkido après la disparition de son fondateur. Celui-ci avait depuis quelques années quasiment cessé d’enseigner les techniques elles-mêmes. Ses interventions visaient à indiquer à ses élèves l’objectif physique, moral et spirituel à atteindre par la pratique. Ses élèves les plus anciens et son fils avaient pris le relais de l’enseignement technique. Ils firent évoluer cet enseignement. l’emtraînement tel qu’ils l’avaient vécu était, on l’a vu, très dur, exigeant une implication totale du pratiquant, et finalement peu compatible avec la vie moderne du Japon d’après-guerre. Cela aurait pu condamner l’Aïkido à rester une discipline circonscrite. Mais le fondateur insistait sur l’universalité du message de l’Aïkido. Il fallait donc trouver un moyen de rendre l’Aïkido praticable par tous sans le vider de sa substance martiale.

L’entreprise semble une gageure. C’est pourtant ce que réalisa le premier Doshu, Kishomaru Ueshiba. On sait surtout qu’il est l’artisan du système de classification des techniques tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ce système était la base nécessaire à la compréhension de l’Aïkido par des esprits analytiques, ceux des Occidentaux bien sûr, mais aussi ceux des Japonais eux-mêmes. On peut discuter de l’opportunité d’une telle classification à partir d’un certain niveau de pratique, mais il est certain qu’elle a largement contribué à rendre l’Aïkido accessible à quelqu’un qui ne dispose pas d’une formation martiale préalable.

Ce qui est peut-être moins connu, c’est l’évolution proprement technique à laquelle travailla le premier Doshu. En effet, l’application, et surtout le fait de subir, de nombreuses techniques d’Aïkido exigeait un entraînement physique poussé, qui mettait l’Aïkido hors de portée du plus grand nombre. Durant de longues années, Kishomaru, puis son fils, Moriteru Ueshiba, travaillèrent à rendre les techniques d’Aïkido réalisables sans ce type d’entraînement extrême, tout en conservant la possibilité de leur restaurer ce type d’exigence. On m’a à de monbreuses reprises assuré que sa contribution à l’Aïkido tel qu’il se pratique actuellement était primordiale.

Conclusion : les années d’après-guerre

Le phénomène central de l’Aïkido d’après guerre semble avoir été sa mondialisation et sa démocratisation. En effet, c’est dans ces années que s’est affirmée avec une force définitive sa valeur universelle, et qu’il s’est propagé dans la plupart des pays développés du globe. c’est aussi dans cette période qu’il est sorti de la logique traditionnelle de secret pour devenir une pratique largement accessible.

il y a sans doute de quoi être un peu déçu à la lecture de cette partie. cet exposé ne me satisfait pas moi-même, mais je pense sincèrement manquer de recul, si ce n’est d’informations, pour bien évaluer la portée de l’histoire récente de l’Aïkido.

C’est ici que se termine un historique qui s’est voulu le plus neutre et informatif possible. La partie suivante sera consacrée à la géographie actuelle de l’Aïkido, avec ensuite une analyse plus personnelle des conséquences possibles de cette répartition.


Auteur : Mathieu Perona

Mathieu.Perona@ens.fr


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Commentaires

2 Messages

  • jack 6 janvier 2007
    22:10

    Bonjour,
    Tombé par hasrd sur ton article très sympa !!
    Par contre il est plus probable que ce soit Kishomaru et non Moriteru (l’actuel Doshu) qui soit à l’origine de la codification et de la simplification des techniques.
    Cordialement et bonne année
    Jack

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    • Mathieu Perona 9 janvier 2007
      10:05

      Effectivement, mon texte manquait de clarté. C’est bien Kishomaru qui est à l’origine de la classification et de la simplification des techniques, mais je voulais souligner que l’actuel Doshu poursuit ce travail. L’enjeu pour moi est de rappeler que quelles que soient les controverses concernant le rôle du Hombu dojo dans la gestion de l’aikido mondial, le Hombu n’est pas un conservatoire d’un aikido "vrai" ou "authentique", mais le lieu d’une évolution qui a un sens.

      Merci de votre remarque et à bientôt sur notre site ou sur les tatamis !

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