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3 juillet 2002
ducouret

Métamorphose

Métamorphose

Anne Ducouret, allocution du 26/06/02 à OMS 5è

Chaque saison est singulière. Celle qui s’achève constitue, probablement plus que les précédentes, une étape charnière, « un temps de métamorphose ». En réfléchissant aux évènements récents, il apparaît que nous sommes à une croisée entre les retombées d’une décennie de travail et la suspension nécessaire et propice à je l’espère de nouvelles avancées. Pour saisir ce moment privilégié je souhaite partager avec vous un aperçu des pas parcourus et à partir de là si possible ouvrir de nouvelles perspectives.

Tout d’abord, je tiens vous remercier tous, vous qui avez participé, chacun à votre façon et selon votre disponibilité à cette forme d’aventure que représente l’aïkido.
Certains sont présents depuis le début de notre activité, je pense en particulier à Jean-Pierre Rodier. D’autres nous ont rejoints depuis déjà plus de dix ans comme Jean-Louis Halle. Il continue à nous rendre visite, anime régulièrement des cours, observe avec attention tout ce qui se passe. Je voudrais remercier également ceux qui ont commencé bien avant nous, qui malgré une vie professionnelle à l’étranger et une pratique en pointillés reste en contact, j’évoque le parcours de Serge...

Lorsque Nanou Champ nous a légué ses créneaux horaires, nous avons accepté, à l’époque, avec l’enthousiasme des enseignants débutants, ne sachant pas bien sûr où cela nous mènerait. D’une certaine façon nous avons accepté mais pas choisi. Car si nous avons choisi comme vous pratiquants, ce lieu, c’est surtout son enseignante qui nous a confié son héritage avec cette particularité de le transmettre à deux personnes. Ainsi d’une certaine façon, nous étions trois.
Au début, nous avons fonctionné, et plutôt avec bonheur, un peu en miroir dans ce même lieu. Probablement parce que c’était le seul moyen d’assumer cet héritage. Puis, progressivement a émergé un désir différent dans l’exercice de nos engagements dans l’aïkido :
Conjointement à cette affirmation de deux expressions c’est ouvert la possibilité de dispenser des cours sur deux lieux différents et paradoxalement de concrétiser ainsi ce rêve d’une renaissance du PAC. Ce qui permet cette année encore de continuer sur le mode du partage c’est le respect renouvelé des priorités de chacun et la primauté du dialogue. Voici trois exemples pour illustrer la philosophie de notre association :
- nous avons proposé un total de 16h de pratique par semaine, coordonné des cours spécifiques adaptés à des besoins différents, organisé de plus d’une dizaine de stages et d’évènements,
- nous avons mis en place un site internet. Il est à la fois support de notre communication interne et la vitrine de notre club,
- nous avons tenu une assemblée générale le 18 juin 2002, la première du genre. Je remercie notre président de club Patrice Verdier pour sa participation active, et Jean Liaubet pour la gestion des licences. Je me réjouis de la collaboration à venir de ceux qui nous rejoignent. Le compte rendu de cette AG devrait permettre aux absents de découvrir ce qui s’y est dit.

Sur la pratique dans le club :

- Pour la première fois le vendredi 7 juin 2002, des passages de kyu ont eu lieu avec seulement l’un d’entre nous. Le regard de l’un valant l’autre, il n’est pas toujours nécessaire d’être deux dans un même espace. Aujourd’hui, tous réunis sur les tatamis, nous pouvons féliciter avec l’ensemble du club les kyu nouveaux.

- Nous sommes heureux d’accueillir parmi nous Benoît Arnal comme hakama ... surprise : le hakama est le premier signe extérieur d’un niveau d’engagement dans l’aïkido. Je le remercie pour le long entretien que nous avons eu. Son arrivée étant relativement récente, il m’importait de mieux connaître ses motivations, son engagement, et de m’assurer de la cohérence de ce changement dans le groupe.

Je profite d’ailleurs de cette occasion pour revenir sur le thème du

hakama comme premier signe extérieur d’un engagement.

Sa fonction touche à la fois la pratique et la relation avec les autres. Il est donc important de saisir l’utilisation que nous entendons en faire. Pour la pratique, chacun a pu constater dans sa vie qu’un habit bien coupé permet une utilisation optimale de celui-ci pour la fonction qui lui est imparti. Dans l’exercice de notre art il ne s’agit pas seulement d’un habit pour paraître mais aussi d’une enveloppe pour contenir et faire émerger la conscience d’un seika tanden. Pour cela, suivant notre expérience et les possibilités qui se sont mises progressivement en place nous souhaitons que les nouveaux « promus » suivent le même chemin que leurs prédécesseurs. D’autant plus, qu’il est nécessaire d’apprendre, comme pour les techniques d’aïkido, l’emploi du hakama. Et puis, c’est un peu rejoindre une « communauté » de personnes qui se sont déjà engagées, une fête qu’il est important de partager.

- Pour la première fois, une dizaine de personnes se sont préparées à un passage de grade dan. Cette concordance entre la présence de pratiquants qui ont pu s’engager et la mise en place d’un travail spécifique, systématique permet aujourd’hui d’étudier concrètement les implications de ce travail au-delà d’un facteur individuel et d’éclairer ainsi notre chemin.

Sur les passages de grade comme résultat d’un travail

La préparation :

- Elle nécessite une pratique spécifique, car si elle utilise comme au théâtre des répétitions, elle prépare un événement unique. Cette unicité en fait un passage et met en évidence les résistances de chacun. C’est à travers cette rencontre avec nos difficultés intimes que le passage opère. Autrement dit : « Je reste parce que je suis en train de vivre, souterrainement, sans vraiment m’en rendre compte, une expérience qui me métamorphose. . » [1]

- Le côté systématique de cette préparation, c’est aussi le pari d’une orientation pédagogique. Sachant que cet axe découle à la fois d’une pratique, d’un idéal et d’un environnement.
La pédagogie peut soutenir des objectifs très différents : conserver une forme, explorer un potentiel humain, développer son propre aïkido... Ces différents buts ne sont pas toujours nommés ou conscients. Selon moi, les résultats d’aujourd’hui montrent que nous avons fait un choix d’une pratique qui équilibre dans le contexte Francilien un travail de fond et une expression variée.

Quelques précisions sur le fond et les mille expressions.

La fonction (c’est ce que j’appelle le fond) est toujours en relation avec la forme (c’est aussi la structure). Une forme permet une seule fonction et dans l’aïkido de la concordance des deux émerge la puissance.
La contrainte de cette unité, c’est le facteur temps, et l’espace est nécessaire pour créer de la durée, du temps maintenue.
Dans un même temps imparti, si on s’attache à la fonction pour développer la puissance, on réduit le nombre de formes, en revanche si la puissance est perçue comme une démultiplication des formes, alors on diminue le bras de levier de la fonction. Généralement les acteurs séparent ces scénarios, chacun protégeant jalousement son choix, et il faut le dire ses intérêts en attendant l’émergence de sa puissance.
Ce qui nous est spécifique, c’est que partant de notre connaissance de ces deux démarches, nous choisissons de nous soumettre à leur principale contrainte, le temps (une durée consentie et condensée), et de mettre ce germe de travail en Ile-de-France. Cet aspect qui ressort de ce travail commun peut se lire aussi comme un projet que nous aurions choisi de mener ensemble.

Encore un peu de patience, et vous allez voir comment le temps compte et pourquoi.

Au début je me suis d’abord sentie plus concernée par l’échec de certains que par la réussite des autres. Mais l’expérience m’a permis de comprendre quelque chose d’important.
Si l’on fait une lecture superficielle des résultats, on peut penser que pour réussir il faut être jeune, brillant, avec des grandes capacités physiques et consacrer beaucoup de temps à cette pratique.
Cependant, nos candidats ont une pratique de 3 ans à 15 ans. Nous l’avions déjà constaté et les règlements sont là pour nous le rappeler : il faut, quelle que soit la personne, un minimum de trois ans de pratique intensive à raison d’environ 9 heures par semaine pour franchir ce premier cap.

Ainsi, nous pouvons déjà dire que :
-  le premier facteur essentiel est ce temps réel de pratique, pouvant être étalé, pour envisager une telle épreuve,
-  le deuxième élément nécessaire est le démarrage au moment opportun d’une préparation complètement suivie.

Il est vrai que pour « les débutants dans la vie » il est souvent plus facile de se rendre disponible et de se prêter à une préparation de ce type.
Dans cette optique, enseigner consiste principalement à tenir la mesure du temps pour les autres et donc à travailler avec sa propre patience. Celle-ci est une suspension de l’action en vue d’agir à bon escient quand les temps sont mûrs. C’est la condition d’une juste action sur les choses, action au moment voulu, moment à la fois nécessaire et choisi.

- Au delà de cette indispensable disponibilité, il semblerait que ceux qui ne trouvent pas, aussi vite une issue favorable à leur passage, sont porteurs d’un projet plus ambitieux que l’obtention d’un grade. Leurs parcours enseignent cela et je les remercie pour le cadeau qu’ils nous font partager dans ce dépassement d’eux même.

Une métamorphose :

Par son propos, l’aïkido se distingue d’une pratique sportive, rythmée par : « un jour on gagne et un jour on perd », tout cela sous fond d’une forte pression de groupe qui fait force de loi ou encore de norme. La conscience prise et exercée dans ce vécu ouvre et engage cette voie, ce « do » avec ses transformations nécessaires, ses changements d’état, ses métamorphoses. Il va de soi que c’est l’unique chemin que je cautionne et encourage.
Chacun de nous est porteur d’un projet qu’il a à faire émerger. Parfois, cette « naissance » se fait avec bonheur. Mais le plus souvent elle nous pousse à traverser nos peurs, nos souffrances et notre solitude.
Ce Procédé est d’autant plus ardu, qu’il ne s’agit pas sur ce chemin de copier quiconque, ou de réaliser ce que l’on a au préalable imaginé, mais au fur et à mesure de déplier et découvrir des possibles. Ce déploiement incarnant avant tout un être humain vertical dans son corps physique pour pouvoir acquérir la fonction parolière, support privilégié de la connaissance et de la relation inter-humaine. L’image du papillon illustre ces cycles d’engendrements successifs, la métamorphose.

Le fait d’être deux enseignants met en évidence cette problématique humaine du passage d’une éducation s’étayant sur un modèle parental à une vie adulte à la fois autonome et en relation avec les autres. D’autant plus que pour nous aider et nous égarer, il y a bien sur toutes les stratégies temporaires possibles : l’identification, la dénégation, la rivalité, l’errance, par exemple.

Vous aurez compris comment un passage se charge de donner un sens qui, tout en le concernant, le dépasse. Le sens se donne par ce qui advient dans le temps, le temps est donc la première loi et la forme nécessaire de la conscience, c’est-à-dire l’écart par rapport à soi. Pour cette raison, seules des personnes en prise avec cette expérience de l’être pouvaient nous en apporter la démonstration.

J’ai nommé aussi l’ambition : certains portent plus que d’autres ce projet dans lequel la plupart d’entre nous se reconnaissent, à savoir si j’essaye de le décrire : créer une réponse vivante donc personnelle à une attaque sollicitée. Bien entendu, seuls ils peuvent réellement définir et développer cette idée. Ce projet me paraît séduisant, je souhaite, si cela est possible, y participer et leur apporter mon soutien dans cette entreprise. Sachant par expérience que certains passages plus que d’autres nécessitent un retour sur soi que la responsabilité de plusieurs fonctions complique.

Qui dit « passage » dit aussi « passeur » :

L’intégration successive des versants de l’être nécessite des points d’appui. Ce rôle de lien et d’arrière plan oblige à approfondir la fonction d’enseignant sur un registre qui dépasse le cadre technique habituel.
Il s’agit bien sûr de mettre à disposition les instruments symboliques nécessaires au maniement de cet art de transformation et surtout de pratiquer donc d’assumer le travail de l’écoute intérieure pour que s’éveille chez l’autre la conscience de son désir, l’accompagnant ainsi dans son œuvre.

Rétrospectivement, j’ai réalisé qu’il est fondamental qu’un passage s’appuie sur un accord passé. Il repose sur ce délicat « nouage » entre une confiance intérieure (une cohérence qui nous est propre) et ce qui peut s’engager de parole et d’acte avec autrui et donc par la suite avec un environnement. C’est le troisième ingrédient nécessaire pour qu’un passage se réalise.

Un regard et une émotion :

J’ai compris dans cette attente de remise de grade, grâce à un petit garçon appelé Ivan, ce que m’ont apportée ceux qui ont effectué leur passage. Après une démonstration avec Ivan, celui-ci me dit ravi : « j’ai fait une bonne chute ». Effectivement, il m’apparu qu’il s’est « déployé » dans celle-ci, qu’il a étendu ses ailes. Il me faisait part de l’émotion ressentie lors de ce mouvement juste. La réalité profonde d’un mouvement n’est jamais mieux révélée que par celui qui l’accomplit.

Et, je dois dire, que cela m’a permis de mettre des mots sur l’émotion ressentie lorsque j’ai entraperçu le passage de certains d’entre vous, car alors je n’arrivais pas à cerner pourquoi j’étais si émue.
Donc après la métamorphose des porteurs de sens, l’émoi esthétique de l’action juste, de l’accompli. Les symboles si courants de la rose en Occident et du lotus en Orient suggèrent magnifiquement cet instant d’éternité. Et oui toujours le temps. Ou encore : « dans cette participation, la vie devient éveil et montée d’une connaissance qui rend l’Homme capable d’un retournement enivrant, car juste, vers l’orient de son être. » [2]

Un projet commun :

Pour conclure cette longue allocution qui résulte d’années de travail et que votre patience m’a permis de prononcer, il apparaît dans tous ces actes qu’il y a en potentiel toutes les clés pour enfin articuler et déployer ce qui est commun. Je me réjouirais avec vous d’avoir ce projet commun de vivre des interfaces possibles entre les projets de chacun. Donc point de fusion dans un groupe et encore moins de suivi aveugle d’un guru...Mais une ou des zones propices aux échanges, des points d’appui à travers bien sûr la pratique de l’aïkido, mais aussi le dialogue , les fonctions et les savoir-faire de chacun. Un club comme inter - vie.

Notes

[1Alain Rémond - Un jeune homme est passé - Seuil, 2002.

[2Annick de Souzenelle - le féminin de l’être - Albin Michel, 1997.

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Commentaires

1 Message

  • 14 juillet 2002
    10:45

    Je voudrais remercier Anne pour ce texte stupéfiant de beauté, de sensibilité, d’émotion et d’intelligence. J’ai rarement, si ce n’est jamais, lu un article aussi magnifique et explicite sur l’aïkido. Il fait preuve de sa part d’un sens aigü de l’enseignement qui de façon très tangible est au coeur de son engagement.
    Ce texte va aussi bien plus loin :
    pour des raisons personnelles, je suis engagé dans une voie très individualiste, je l’accorde, du chant classique et de l’écriture, arts avec lesquels j’entretiens parfois des rapports houleux, l’aïkido ne peut donc être au coeur de mes préoccupations. Cependant, les mots que Anne, avec beaucoup de talent, utilise, sont tout à fait applicables à diverses activités, il suffit d’en changer les termes, mais un musicien, un peintre, un poète, un scientifique etc...pourrait les appliquer à lui-même et à son activité quelle qu’elle soit du moment que ce qu’il fait le passionne.
    Cette longue réflexion si elle m’a ému (l’exemple que donne Anne, la "bonne chute" de l’enfant, est à cet égard très significative) m’a aussi beaucoup fait rire car elle stigmatise bien nos maladresses, nos faiblesses. J’y ai vu les miennes entre autres : les écarts intempestifs au protocole, à la discipline, l’utilisation de la force etc... Une espèce de tendresse, de bienveillance est là néanmoins, et Anne nous le rappelle, pour nous accompagner et nous permettre, sans culpabilité, de cheminer à notre rythme et chacun à sa manière. C’est en tous les cas ce que Anne exprime dans un français impeccable, précis et sensible qui dénote une immense ouverture d’esprit, d’écoute et de rigueur dont il semble que je sois dépourvu, sauf dans ce qui est au coeur de ma vie, c’est à dire, le chant et l’écriture. Conjointement, le sens de l’humour semble aussi être à la racine de cet art soit-disant martial mais qui n’a pourtant rien de guerrier, et crée un liant qui permet à des êtres un peu à l’écart (ou totalement !?) de s’intégrer dans une démarche collective qu’ils n’auraient pu aborder autrement. La sympathie, l’aspect réellement chaleureux, l’absence de "grosses têtes" dans son cours, sont des indices auxquels j’ai personnellement été très sensible : sinon, j’aurais pris mes jambes à mon cou. Il n’existe rien de pire que l’auto-suffisance, et le sentiment d’être doué et de dépasser tout le monde d’une tête ! ce que j’ai constaté, hélas, dans de nombreux autres dojos, visités le temps d’un soir.
    Anne nous parle surtout, que ceux qui ont des oreilles entendent, de la dimension proprement intime de l’aïkido, c’est à dire du lien qu’il tisse souterrainement avec notre âme, et le sens quasiment karmique de l’engagement qu’il implique. Une métamorphose, décidémment, qui n’a rien de Kafkaienne !
    Ce discours, aux portes même de la poésie, je ne l’ai jamais ni entendu, ni lu ailleurs, et il a trouvé en moi des résonnances qui m’ont véritablement bouleversé.
    Il est évident aussi, rien qu’à cette lecture, que Anne ira très loin dans cette voie qu’elle s’est tracée.
    Ce texte, ce n’est pas de la flatterie, je carbure plutôt au venin à l’ordinaire, m’apparaît déjà être en soi une véritable référence. Anne ne peut qu’en être remerciée.

    Christian Le Gall

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